L’histoire, la noble est comme un marionnettiste du temps qui joue à faire coïncider les événements pour nous arracher un sourire ou
une joie infantile devant la succession malheureuse des faits. Deux jours après avoir pris connaissance de la réquisition du Procureur Louis Moreno OCampo contre le président Laurent Gbagbo,
nous voilà pratiquement enthousiasmer de célébrer son 67ème anniversaire. Pour nous, cette coïncidence des événements est un signe du temps qui nous pousse simplement à dire, à OCampo qui ne
semble pas savoir grand-chose sur l’homme, qui il est vraiment.
Lors d’un meeting de campagne à Agboville à la dernière élection présidentielle de 2010 voilà ce que Laurent Gbagbo dit de l’homme
politique : « J’engage les hommes politiques ivoiriens à prendre la voie de la responsabilité. Je les engage à être responsables et à penser à la Côte d’Ivoire. Je les engage à être
responsables et à penser au développement de la Côte d’Ivoire. Tel doit être notre souci permanent, si nous voulons faire la politique. Et, si on ne veut pas faire de la politique, alors qu’on
laisse la politique à ceux qui savent la faire. Un faiseur de coup d’Etat n’est pas un homme politique. » Nous pouvons concéder que cela est un discours prononcé en période de campagne par un
homme politique mû plus par la séduction de son auditoire que par la vérité. Mais à la lumière de tout ce qui l’engagera bientôt dans un procès politique à la Cour Pénale Internationale, c’est
toute la dichotomie autour de la notion d’homme politique telle qu’il la conçoit ici qui est en cause. Premièrement Laurent Gbagbo est-il vraiment ce qu’il dit être ici, c’est-à-dire un homme
politique qui classe les coups de force dans la non-politique ? Deuxièmement a-t-il été un politique à la hauteur du concept ?
A la première préoccupation, point n’est besoin de faire une enquête. Ce sont ceux-là mêmes qui le traînent devant un tribunal
international pour lui intenter un procès politique qui seront les premiers à dire que malgré tout ce qu’il a subi depuis qu’il est entré en politique à l’âge de 19 ans, il a toujours eu
horreur des coups d’Etat. Ce ne sont pas les propositions qui ont manqué. Nombreux sont ses camarades de lutte qui l’ont quitté ou rompu leur alliance avec lui à cause de cette divergence de
vue qui n’était pas seulement conjoncturelle chez lui mais ontique, c'est-à-dire lié au fait même de faire la politique. Et personne ne peut nier en Côte d’Ivoire ces paroles fortes dites à l’
occasion de la dédicace du livre de son ami Guy Labertit, Côte d’Ivoire, sur le sentier de la paix : « Pendant ces trente années de combat dans l'opposition, jamais je n'ai pris aucune arme
contre aucune institution de la Côte d'Ivoire. Jamais, pendant ces trente années, alors que je subissais les affres de la prison - mon père a été en prison, moi-même j'ai été en prison, mon
oncle a été en prison, mon épouse a été en prison, mon fils a été en prison, ma sœur a été en prison - mais jamais, jamais, nous n'avons songé à prendre les armes contre la Côte d'Ivoire. Parce
que nous croyons en nous. Parce que nous avons confiance en nous. Et nous avons confiance en notre relation avec le peuple. Nous savions que, tôt ou tard, ce peuple-là, que nous défendions,
allait nous reconnaître et nous donner le pouvoir. Quand on a confiance en soi, on ne prend pas les armes pour faire la guerre civile. Quand on a confiance en soi, on ne cherche pas les fusils
comme moyen d'accession au pouvoir. » En clair, pour Laurent Gbagbo la violence politique relève simplement de la faiblesse politique. Il est insensé de s’engager dans l’art de gouverner les
hommes en brandissant les armes. C’est totalement ubuesque aujourd’hui que Laurent Gbagbo soit poursuivi devant un tribunal international pour ce qu’il a toujours reprouvé dans sa vie et par
ceux qui ne peuvent montrer patte blanche sur la question.
Deuxièmement une chose est d’être un politicien qui n’a jamais pris les armes et une autre est de ne pas en être un piètre. En
Afrique en général et en Côte d’Ivoire en particulier, personne n’exagère quand elle classe Laurent Gbagbo parmi les hommes politiques les plus modernes. Au sens ou la modernité est non
seulement le signe de la rupture d’avec l’obscurantisme françafricain mais aussi celui du progrès dans la façon de faire la politique. Il est le seul homme politique en Côte d’Ivoire dont le
projet de société et le programme de gouvernement a fait l’objet d’une bibliographie bien fournie 10 ans avant qu’il ne prétende à la magistrature suprême. Houphouët Boigny a hérité de la Côte
d’ivoire indépendante sans jamais avoir écrit une seule ligne pour communiquer sur ce qu’il comptait faire avec le peuple ivoirien. Lui-même se prenait pour Jésus Christ et Mahomet qui n’ont
jamais écrit. Henri Konan Bédié a, à travers une interview-livre, retracé les chemins de sa vie. Robert Guei a, à peine, eu le temps de dire au peuple qu’il est leur candidat. Quant à Soro
Guillaume, il a donné dans un livre les raisons pour lesquelles il a imposé au peuple ivoirien une crise inutile et improductive politiquement. D’Alassane Ouattara, à part les slogans de
campagne électorale promettant des pluies de milliards, on ne connait aucun écrit sérieux pouvant nous renseigner sur sa vision politique. Côte d'Ivoire, Pour Une Alternative Démocratique
(1988); Gouverner autrement la Côte d'Ivoire, Fonder une nation africaine démocratique et socialiste en Côte d'Ivoire ; Côte d'Ivoire, bâtir la paix sur la démocratie et la prospérité ; Côte
d'Ivoire, Histoire d’un retour, voila une palette des œuvres politiques du président Laurent Gbagbo. Si quelqu’un comme OCampo veut savoir quelle a été la politique de Laurent Gbagbo durant ses
46 ans de vie politique, il n’a qu’à ouvrir l’un de ces livres au lieu de tirer d’une imagination torturée par les effets de la compromission des politiques fantaisistes d’extermination de son
peuple.
Pour avoir une idée de la dimension intellectuelle de Laurent Gbagbo, citons pour finir ce passage qu’a retenu pour la publicité par
l’éditeur de la réédition de 2004 de Côte d'Ivoire, Pour Une Alternative Démocratique sorti en 1988 « La Côte-d'Ivoire est un pays sous-développé. Il nous faut donc nous battre contre cette
situation que nous ne considérons ni comme une malédiction, ni comme une fatalité. Or l'histoire nous enseigne qu'aucun peuple asservi ne peut faire efficacement face aux défis de l'humanité
sans avoir au préalable brisé ses chaînes. Le sous-développement dans la servitude accentue le sous-développement. Nous savons bien que la démocratie n'est pas un remède miracle qui va résoudre
par enchantement tous nos problèmes. Mais elle constitue un préalable indispensable. Nous avons une agriculture à repenser pour sortir des pièges que nous a légués l'ère coloniale ; nous avons
une politique énergétique à mettre en place et à mener avec constance afin de créer les conditions d'une industrialisation véritable ; nous avons à redéfinir le rôle de l'école et l'orientation
de la médecine ; en somme nous avons à combattre la faim, la maladie, l'ignorance, la rigueur du marché international et l'appétit vorace des impérialismes ; bref, nous avons un pays à bâtir.
Cette tâche n'est pas au-dessus de nos forces. L'exécution d'une œuvre aussi gigantesque que la construction nationale exige que chacun se sente concerné ; il faut pour cela que les Ivoiriens
soient impliqués dans un débat politique national, qu'ils aient une prise sur les choix fondamentaux de leur pays ; qu'ils sachent qu'ils ne sont pas des robots à qui l'on demande seulement de
produire, sans savoir à quoi (ou à qui) cela sert de produire. Il faut responsabiliser nos citoyens depuis les paysans jusqu'aux plus hauts responsables de l'administration en passant par les
ouvriers et les cadres du secteur privé. Une telle mobilisation implique que les Ivoiriens fassent consciemment et librement le choix d'une politique. A ce niveau, la liberté n'est plus
simplement un concept moral ni une donnée politique ; la liberté est le levier le plus puissant du développement économique. »
Joseph Marat