Dans le langage populaire ivoirien, le néologisme «blue bander» veut dire distraire, tromper la vigilance de quelqu’un. Lundi, lendemain des graves exactions commises pour la ènième fois par l’armée de Ouattara, l’homme fort d’Abidjan serait monté au créneau pour dénoncer ces tueries qui ne s’expliquent pas et demander, par la même occasion, aux éléments de son armée qui pullulent dans les rues de regagner leurs bases. Depuis cette annonce, nombre d’Ivoiriens n’ont eu de cesse de nous interpeller sur ce qu’ils considèrent comme une manière bien connue de lui de «blue bander» les Ivoiriens.
Pour eux et pour nous, les choses sont claires. Ouattara fait de la communication. Il sait que ces tueries sont de trop et ne
laisseront personne indifférent. Pas seulement parce que, pour la première fois, elles touchent directement ses propres partisans, mais parce que, pour les parrains de Ouattara, l’état de grâce
est terminé. A travers cet impératif de désarmement qu’il lance, il s’adresse aussi bien à ses propres partisans qui en ont marre de ses soldats qui ont la gâchette facile qu’à la communauté
internationale qui doute de plus en plus de sa capacité à mettre de l’ordre autour de lui.
Mais ne nous y trompons pas ! Cet appel a beaucoup plus de chance de mourir comme les autres lancés auparavant avec la même énergie
et dans les mêmes circonstances. Beaucoup de nos citoyens interrogés pensent que ces menaces tomberont dans des oreilles de sourds. Pour la simple raison que nous sommes sur un champ du
donnant-donnant. Ces miliciens et autres dozos que l’on voit partout, dans les villes, villages et hameaux les plus reculés (notamment dans le Grand Ouest), attendent avec impatience que ceux
qui les ont invités sur le champ de bataille paient ce qui leur a été promis : 5 millions de FCFA pour certains, 3 millions pour d’autres et 1 million pour le reste. Il ne serait pas surprenant
que, dans les heures qui suivent, ces miliciens se mettent à parler dans les maquis et dans la presse pour revendiquer leur dû.
A côté de cet élément qui montre bien les limites de l’appel de Ouattara, il y a aussi que, selon «un spécialiste» interrogé hier par
un confrère, le nouvel homme fort de Côte d’Ivoire n’a ni la force ni le courage politique qu’il faut pour arriver à se débarrasser de ce colis devenu encombrant : sa milice privée. Chercher à
«blue bander» ses concitoyens ne peut donner le répit que pour un bref moment, le temps qu’ils se lavent le visage.
Quand on est dans l’opposition, on prend l’habitude de secouer le cocotier. Mais une fois au sommet, une brise de mer fait peur.
Ouattara est au pied du mur. Il est obligé de montrer le bout de l’oreille.
Abdoulaye Villard Sanogo