«Quand ils vont apprendre que le Fpi, sa base, ses militants et ses militantes sont debout, ils vont accepter de discuter avec nous. Et en ce moment-là, il y aura la vraie réconciliation. Sinon en dehors de ça, tout le reste, c’est du folklore. Et nous, on n’est pas dans le folklore». A prévenu début août, le secrétaire national chargé des questions gouvernementales, Dr Alphonse Douaty. C’est l’histoire du geôlier qui n’a pas d’autre choix que de négocier avec son prisonnier. La machine Fpi est en roue libre !
Le Front populaire ivoirien (Fpi) parti fondé par Laurent Gbagbo incarcéré depuis le 30 novembre 2011, à La Haye, est-il mort de sa belle mort comme l’annonçait le Représentant spécial du
Secrétaire général de l’Onu, le Coréen J.Y. Choï ? Les nouvelles en provenance de la Suède où la direction intérimaire des socialistes ivoiriens est en tournée européenne, inclinent plutôt à
penser le contraire. «Il nous revient de façon récurrente que le président Ouattara souhaite rencontrer la délégation du Fpi à Paris, pendant son séjour qui commencerait le 1er décembre
prochain». A indiqué, le mercredi 28 novembre2012, 19 mois après l’arrestation de Laurent Gbagbo et l’avènement au pouvoir d’Alassane Ouattara, Michel Amani N’Guessan ancien ministre de la
Défense, membre de la délégation qui séjourne en europe sous la direction du président intérimaire miaka Oureto Sylvain. A l’évidence, les lignes semblent plutôt bouger tant du côté du pouvoir
ivoirien que de celui de l’opposition significative. Le grand bénéficiaire de cette tentative de décrispation annoncée ne peut être que le peuple ivoirien qui attend, enfin, vivre en paix. La
rencontre « souhaitée» par Alassane Ouattara, lequel aurait, à l’occasion du 58e congrès de l’International libéral tenu 19 novembre à Abidjan, commis le président sénégalais Macky Sall de
servir de négociateur, arrive comme pour desserrer un nœud trop serré au cou de l’actuel homme au fauteuil en Côte d’Ivoire ivoirien. Ce dernier étant demandeur de la rencontre en vue d’espérer
booster une bancale réconciliation nationale escamotée par sa propre propension à se méfier de toute contradiction.
Le début du lâchage
L’homme fort d’Abidjan s’est-il rendu compte qu’il s’isole de plus en plus pour s’enfermer dans une bulle nationale ses propres partisans, dozos et Frci compris, jouent les fossoyeurs ? A dire vrai, sa démarche actuelle faite de violations des droits de l’Homme tranche paradoxalement avec celle que devrait avoir un élu sorti vainqueur d’une élection démocratique. Plus irritante que jamais qu’elle provoque des levers de boucliers à travers le monde. Sur la scène internationale, le pouvoir ivoirien est mis à carreau. Acte ! Alors que les services de communication de la présidence ivoirienne bruissaient d’éloges sur la visite d’Alassane Ouattara en France pour y rencontrer le nouveau locataire du palais de l’Elysée, l’on se souvient que l’homme fort des Lagunes n’était pas sur la shortliste de François Hollande initialement établi. en effet, alors qu’il comptait pouvoir être parmi les premiers, des accueils, de l’aéroport militaire du Bourget à l’Elysée, avaient été réservés bien avant lui, aux chefs d’etat mahamadou Yssouffou du Niger, Yayi Bony du Benin, Alpha Condé de Guinée, Ali Bongo du Gabon, Macky Sall du Sénégal, et Moncef Marzouki de Tunisie, les semaines qui ont précédé sa visite officielle.
Lui, ce sera bien plus tard… à Orly, un aéroport secondaire, peut-être pour respecter les principes d’une certaine indifférence diplomatique. Ce 26 juillet, l’Elysée coupant court à toutes
sortes de spéculations et de tentatives de récupérations d’Abidjan, produisait un communiqué sur la rencontre Hollande-Ouattara. On y décèle pêle-mêle, la préparation d’une signature du contrat
de désendettement-développement. Dont la teneur se mesure au climat qui a précédemment prévalu « Le Président de la République a évoqué avec son homologue la question de la réconciliation
nécessaire entre les Ivoiriens, qui passe par le dialogue, la lutte contre l'impunité et la justice. A cet égard, le renforcement de l'Etat de droit et du système judiciaire en Côte d'Ivoire
fera aussi partie des priorités de la coopération bilatérale…» Tout un symbole ! et ce n’est que le début d’une mise au restreint. « La Reine Elisabeth II refuse de recevoir Alassane Ouattara
en audience à Buckingham Palace » titrent des sites d’informations en ligne, alors que le chef d’état ivoirien fait un détour en Angleterre. Une tournée qui s’est faite dans un battage
médiatique et qui avait été qualifiée d’«historique» venait ainsi d’être démystifiée. «Londres, les services de sa très gracieuse majesté ont annulé la rencontre entre le chef de l’Etat
ivoirien et la monarque britannique. La raison invoquée : Rencontre sensible et susceptible de créer des troubles et d’entacher la cérémonie d’ouverture des JO de Londres, dont la Reine a fait
du succès et du rayonnement, la priorité des priorités. La visite mouvementée de Ouattara à Chatham House vendredi, où Ouattara rencontrait les potentiels investisseurs britanniques en
direction de la Côte d’Ivoire, a fini par convaincre Scotland Yard, la police britannique, du risque Ouattara pour l’image de la Grande Bretagne, au moment où toutes les cameras du monde ont
les yeux rivés sur les JO de Londres. On se rappelle que près de 200 manifestants gonflés à bloc étaient venus huer et conspuer Alassane Ouattara à Chatham house. (Ouattara ) a dû être obligé
de quitter Chatham house par la porte dérobée, sur insistance de Scotland yard. La photo qui allait immortaliser Elisabeth II et Alassane Ouattara, l’ami des grands de ce monde, montrant ce
dernier à Buckingham Palace avec la Reine, n’aura donc pas été prise.» Flop ! L’initiative des manifestations anti-Ouattara provient des sections militantes du Fpi-Europe aidées par des
mouvements patriotiques. Les esprits avaient été conditionnés par un article au vitriole publié par le journal français Le Monde sous le titre de «Drôle d’ambiance à Ambiance». Le canard
français joue les pourfendeurs : «Un an après la chute de Laurent Gbagbo et l’investiture d’Alassane Ouattara à la présidence, le 21 mai 2011, les Ivoiriens attendent toujours une reprise
économique qui ne vient pas (…) Mais, pour l’instant, rien de bien concret à la clé. L’activité ne décolle pas, l’argent ne circule pas. On n’arrive pas à se faire payer par nos clients, les
chantiers sont à l’arrêt, regrette le gérant d’une Pme installée dans le quartier des affaires du Plateau. Si ça continue, on va être obligé de mettre des employés au chômage technique.» Relate
le confrère français.
Les dérives d’Alassane Ouattara
Les dérives d’Alassane Ouattara ne s’arrêtent pas pour autant à cette seule description. La Sud-Africaine Nkosazana Dlamini- Zuma élue le dimanche 15 juillet et prêtant serment le lendemain lundi à la clôture du 19e Sommet, exprime son agacement relativement à l’acharnement d’Alassane Ouattara sur Laurent Gbagbo écroué à la Cour pénale internationale sous l’instigation des nouvelles autorités ivoiriennes. «Il est important de faire la paix au Soudan, surtout au Darfour. Le président El-Béchir doit participer à ça… C’est plus important de faire la paix au Soudan que de se précipiter pour l’arrêter». La nouvelle présidente de la Commission de l’Union africaine ne faisait pas que jeter un pavé dans la marre de la communauté internationale à justice variable en Côte d’Ivoire. Elle réussissait également à braquer à nouveau les projecteurs sur l’actualité dans ce pays phare de l’Afrique de l’ouest, insinuant de fait, qu’après Gbagbo dont la déportation à La Haye constituait une violation du principe de la souveraineté nationale, l’Afrique ne digne ne permettrait plus qu’aucun de ses fils soit humilié de la sorte, n’en déplaise aux protégés locaux des occidentaux de la trempe de Ouattara.
Violations des droits de l’Homme
«Le peuple ivoirien a déjà souffert d’innombrables horreurs. Le gouvernement doit montrer qu’il est déterminé à faire cesser cette violence en désarmant les anciens combattants et en s’assurant que la police et les gendarmes sont équipés de manière adéquate pour protéger les Ivoiriens et pour enrayer la criminalité galopante aux alentours de Bouaké.» Critique le 5 mars 2012 Corinne Dufka, la chercheuse senior sur l’Afrique de l’ouest depuis Nairobi la capitale kényane, «Depuis début décembre 2011, au moins 22 personnes ont été victimes de meurtres dans le centre de la Côte d’Ivoire, alors qu’elles se déplaçaient à moto ou en transport en commun. Des survivants et des témoins de ce genre d’attaques originaires de Bouaké et interrogés par Human Rights Watch ont décrit 15 incidents, dans lesquels au moins 13 hommes ont été tués par balles et cinq femmes ont été violées». Dénonce Human Rights Watch qui détient des témoignages des victimes. Quant à l’Onu, plusieurs de ses responsables indiqueront à Hrw que «certains membres influents du gouvernement, étroitement liés aux Forces républicaines, semblaient «tergiverser » ou «traîner les pieds» dans la mise en oeuvre du programme de désarmement de forces grâce auxquelles ils ont accédé au pouvoir»
Invité à la Bbc le vendredi 17 août 2012, Alioune Tine, le responsable de la Raddho (Rencontre africaine de Défense des Droits de l’Homme) épingle Alassane Ouattara : «Il y a une intensification des attaques et c’est extrêmement inquiétant pour la sécurité pour la paix et la réconciliation nationale qu’on sent de plus en plus fragiles, de plus en plus menacées en Côte d’Ivoire. Le moment est venu de se ressaisir et d’attaquer les questions prioritaires de front. La question de la réconciliation nationale est une grave question. Il y a la commission paix, vérité et réconciliation qui depuis qu’elle a été mise en place en Côte d’Ivoire franchement n’a pas encore fait le travail qu’on attend.» .
Maître Josette Kadji Avocat auprès de la Cour pénale Internationale sur le Rwanda, excédé par la situation ivoirienne où l’élection présidentielle de novembre 2010 n’en finit pas d’exposer ses paradoxes, en avait lui aussi, pris la boule : «J’ai l’impression que le Monde marche sur la tête dés qu’il s’agit de la Côte d’Ivoire, car enfin à quoi joue-t-on lorsque tout le monde semble oublier que la Côte d’Ivoire a une Constitution et que cette Constitution dit que pour être considéré comme président de la Côte d’Ivoire il faut que l’impétrant ai prêté serment devant le Conseil Constitutionnel. La phase de la proclamation des résultats définitifs par le Conseil Constitutionnel a été escamotée soit ! Mais quid de la prestation de serment qui donne lieu à l’établissement d’un arrêt par le Conseil Constitutionnel, acte qui fait foi partout où besoin est (Bceao par exemple) ? Tout le monde sait que sans cette formalité substantielle, Ouattara n’a aucune légitimité, mais tout le monde devient aveugle et feint de l’ignorer.» Légitimité ! Le mot est-il lâché pour espérer un jour revenir sur les actes manqués d’une communauté internationale empêtrée jusqu’au cou dans des intrigues ivoiriennes? Peut-être oui, peut-être non. Cependant, les partisans du président Laurent Gbagbo continuent de croire qu’un jour viendra où Alassane Ouattara et ses ouailles se souviendront de la maxime qui dit que quand on danse avec un aveugle, il faut de temps à autre lui marcher sur les pieds pour lui signifier qu’il n’est pas seul sur la piste. «Quand ils vont apprendre que le Fpi, sa base, ses militants et ses militantes sont debout, ils vont accepter de discuter avec nous. Et en ce moment-là, il y aura la vraie réconciliation. Sinon en dehors de ça, tout le reste, c’est du folklore. Et nous, on n’est pas dans le folklore». A prévenu début août le secrétaire national chargé des questions gouvernementales, Dr Alphonse Douaty alors en tournée à Adiopodoumé (Sud-ouest d’Abidjan).
Après le coup de massue qui lui est tombé dessus, le Fpi de Laurent Gbagbo semble être remis de son choc. Avec peu de moyens financiers (les avoirs de ses dirigeants sont gelés) et des mouvements rendus difficiles (ses cadres étant soit en prison, soit en exil), le Fpi a adopté la politique de l’orphelin. C’est-à-dire ne compter que sur soi-même, communiquer abondamment sur les crimes et autres violations des droits de l’Homme commis par le régime, pour jouer sur les sensibilités s’il s’en trouve encore, en vue se sortir de l’étau du régime. Les réactions sur le terrain donnent plutôt des résultats satisfaisants. Douaty comme bien d’autres leaders comme Laurent Akoun secrétaire général par intérim ont certes été arrêtés, mais la machine, elle continue de rugir. Alassane Ouattara a ses prisonniers.
Une réaction à laquelle les observateurs de la politique ivoirienne sont désormais habitués. Mais qui n’est pas sans conséquence. D’où le lâchage dont le régime ivoirien fait l’objet depuis plusieurs mois de la part de ses premiers soutiens occidentaux. En effet, les tournées européennes de M. Ouattara s’accentuent et se ressemblent toutes, depuis que ce dernier s’est lancé dans une chasse aux sorcières dans la pure tradition du «rattrapage ethnique», son nouveau concept qui ne fait qu’accentuer la fracture sociale entre d’une part ce que ses aficionados appellent pro-Gbagbo et pro-Ouattara et qui en définitive pourrait, s’il s’entête à franchir le rubicond, creuser sa propre tombe. Certains l’appellent fiasco, pour d’autres plus avertis, c’est plutôt un lâchage groupé.
Au plan national, le désarroi mais, surtout le regret de ne plus avoir le président Laurent Gbagbo au pouvoir est total. C’est la Coordination nationale des enseignants et chercheurs de Côte d’Ivoire (Cnec) structure proche du régime qui se fait violence en tirant la sonnette d’alarme : «Là où le Gouvernement passé a fait l'effort sans précédent en Côte d'Ivoire, de prendre en compte le doctorat, le Gouvernement actuel se refuse complètement à avoir cette même vision qui est devenue universelle, à savoir faire de l'Enseignement supérieur et de la Recherche l'outil du développement du pays. C’est un recul que nous notons avec consternation (…) Le Gouvernement actuel ne brandit que les slogans…» Indique plaintif Traoré Flavien pour le compte du syndicat de l’enseignement supérieur. Le régime Ouattara peut torturer, tuer, emprisonner, exproprier les Ivoiriens, mais une chose est certaine, c’est que les socialistes du Fpi ont décidé de ne plus le laisser faire.
Simplice Allard